Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Parures de Petitebijou

Publié depuis Overblog

20 Mars 2014

« Entre amis » est un recueil de huit nouvelles qui ont toutes pour décor le kibboutz Yikhat, au nord d’Israël, fin des années 50, et pour personnages divers habitants du Kibboutz, qui se croisent dans chaque nouvelle.

Je retrouve avec Amos Oz dont j’ai déjà lu quelques ouvrages qui m’ont beaucoup plu une caractéristique qui fait que j’apprécie tant la littérature israélienne : un style en apparence simple, des descriptions très concrètes, ancrées dans le quotidien le plus sommaire, d’où émerge peu à peu, au fil des mots et des phrases, une puissance d’évocation poétique inouïe. Je pense que ce trait commun prend racine entre autres dans la langue originale, cet hébreu ex-langue morte ressuscitée où se côtoient mots très anciens et vocabulaire ultra-moderne, mais aussi dans la mentalité même des habitants d’Israël, les pionniers comme les sabras, qui ont pu à la fois rêver, fantasmer le pays et se confrontent chaque jour à une réalité des plus pragmatique.

Il me semble que le rythme de la prose d’Amos Oz épouse le rythme de sa parole (cf la vidéo de La Grande Librairie postée sur la page de l’auteur) : fluide et posé, clair, dénué de tout effet dramatique.
En apparence, la vie s’écoule plutôt paisiblement au Kibboutz Yikhat. Chacun se consacre à la tâche précise qui lui a été dévolue selon son aptitude et éventuellement ses goûts, l’organisation de la communauté « égalitaire » est soumise à un règlement non moins précis, et démocratique, dans l’esprit des pionniers fondateurs : les enfants dans le bâtiment des enfants, les couples dans des logements de même superficie, femmes et hommes soumis à une parité d’avant-garde…

Seulement, dans ce beau mécanisme rigoureux paré à tout gérer, de la tondeuse à gazon en panne au financement des études des futurs étudiants en passant par les tours de garde nocturnes, les hommes et les femmes sont soumis aux lois plus nébuleuses du désir, de l’amour, de l’épanouissement personnel ou de la maladie…

C’est cela qu’Amos Oz nous raconte tout en nous brossant un tableau très réaliste de la vie des Kibboutzim, vie qu’il a lui-même connue pendant plus de vingt-cinq ans.

Avec une ironie tout à fait délectable, il se moque de l’organisation où « Marx a remplacé le Talmud », tolérant l’amour libre mais puritain de bien d’autres façons, où les femmes, bien qu’égales sont systématiquement assignées à la cuisine, la puériculture, la couture, la buanderie… J’ai particulièrement goûté les portraits de certaines d’entre elles, fières, déterminées, fortes et plus solidaires entre elles que les hommes qui les prennent et les quittent ou les aiment en silence. L’une d’elles prophétise ainsi que le kibboutz finira par évoluer, que les femmes y auront plus de pouvoir, mais que la patience est de mise… car les hommes sont lents.
Certains portraits masculins sont aussi très savoureux : le professeur quinquagénaire séducteur impénitent qui emménage avec la fille de 17 ans de son meilleur ami, le jardinier qui passe son temps à relater les catastrophes de l’actualité mondiale, l’humoriste du groupe soumis et malmené par sa femme, et le vieux malade dont le rêve est d’enseigner l’esperanto afin que l’humanité un jour soit en paix…

Tout le monde est ami, chacun œuvre pour le bien commun, et surtout, tout le monde épie tout le monde. Comme pour tout groupe humain quel qu’il soit, ça cancane à tout va, ça commente, on jalouse ici, on se moque là, et les histoires d’amour et de sexe font battre le cœur du kibboutz bien plus que toute théorie marxiste.

Certaines nouvelles, comme « Deux femmes », sont parfois cocasses et m’ont fait rire. La plupart, bien que jamais franchement dramatiques, oscillent entre une certaine légèreté et une douce mélancolie. Enfin, deux particulièrement ont des relents tragiques à peine esquissés mais poignants.

Ainsi, « La nuit » se déroule lors d’un tour de garde nocturne. Un homme et une femme se croisent alors que tout le monde dort, il fait froid, ils se connaissent depuis toujours, s’accompagnent quelques instants : rien ou presque n’est dit, tel geste est esquissé, tel autre est retenu, les chacals hurlent au loin, le danger rôde sans que l’on puisse précisément l’identifier… l’aube arrive, rien n’a changé et tout a changé.

« Papa » a pour personnage principal un jeune adolescent placé au kibboutz comme en famille d’accueil à cause de difficultés familiales. Il n’a pas choisi d’y vivre, et refuse en partie de s’y intégrer, de suivre les règles. Il demande l’autorisation d’aller voir son père une journée, et nous l’accompagnons dans son périple interminable en bus sur des routes poussiéreuses et défoncées, tandis que ses pensées errent entre le passé et l’avenir, sa famille mal en point et le kibboutz prêt à le prendre en charge, lui donner un avenir, qu’il n’aurait peut-être pas choisi… Sobriété, épure, certains passages rappellent Dino Buzzati, ou même Camus, teintés d’absurde et de non-dit.

Un moment fort de lecture, envoûtant sous bien des aspects, et la plume « à deux voix » (cf. encore la vidéo de La Grande Librairie) d’Amos Oz inscrit une œuvre singulière et de toute beauté.

Entre amis - Amos Oz

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article