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Parures de Petitebijou

Publié depuis Overblog

17 Février 2013

Cela fait déjà quelques années que plusieurs de mes proches m’ont conseillée de lire un ouvrage de Philippe Besson, mais à ce jour j’avais toujours trouvé autre chose pour satisfaire ma curiosité de lectrice. Malgré tout, j’avais gardé dans un coin de ma tête ce projet de lecture, et, allez savoir pourquoi, j’ai emprunté « Son frère » parmi les œuvres de l’auteur présentes à la médiathèque la semaine dernière. J’ai choisi celui-ci un peu au hasard, poussée aussi sans doute par les dieux de la littérature.

Un peu hâtivement, j’ai toujours associé Philippe Besson aux écrivains parisiens quadragénaires médiatiques qui se complaisent un peu trop à mon goût dans le déballage introspectif. Ce jugement a été plus qu’agréablement démenti par la lecture de ce magnifique roman.

« Son frère » raconte l’amour unissant deux frères « presque » semblables (et toute l’énigme de la fratrie réside dans le presque), à mi-chemin entre la trentaine et la quarantaine, alors que l’un des deux, Thomas, va mourir, frappé par une maladie terrible – dont la cause restera inconnue, qui aura raison de lui, et que l’autre, Lucas, décide de l’accompagner jusqu’au bout, d’être le témoin de la maladie érosive, et de tenter au moyen de l’écriture de mettre en mots le chaos.

Philippe Besson est funambule. Il marche sur un fil ténu au-dessus du précipice de l’impudeur et de la complaisance. Il réussit d’une manière subtile et intelligente à déjouer tous les pièges tendus par l’intrigue. Mais, encore plus étonnant, il ne choisit pas la mise à distance. Il ose parler sentiments, émotions, amour, se frotter au domaine sensible sans tomber dans la sensiblerie.

Son récit est à la fois d’une totale impudeur et d’une incroyable retenue. Rien n’est mièvre, compassé, facile. Tout sonne juste, honnête, sans complaisance. Les mots tranchent comme le scalpel sur la peau en souffrance : précis, secs, ajustés. Les larmes du lecteur coulent à l’intérieur comme l’hémorragie interne menaçant Thomas. L’auteur a du style, et ce n’est pas si courant.

Lucas raconte jour après jour la dégradation du corps du malade et l’apprivoisement de l’adieu pour celui qui va rester, seul, perdant son enfance en perdant son frère.

L’action se déroule de mars à septembre, entre scènes successives à l’hôpital et la maison d’enfance au bord de l’océan sur l’île de Ré. Intelligemment, l’action n’est pas chronologique, se présente à nous comme une sorte de mémoire rédigé par le survivant, suivant les méandres des souvenirs qui on le sait bien surgissent en nous comme un kaléidoscope dans les heures de grande tension émotionnelle.

J’ai aimé infiniment l’évocation de l’insouciance fraternelle lors des séjours estivaux, le rapport charnel avec l’eau matricielle dont on ne guérit jamais, le temps élastique. Ici, les souvenirs sont à la fois douloureux, puisque toute évocation, bien au-delà du sentiment du temps qui passe trop vite conduit à un adieu, mais constituent également le socle sur lequel s’est érigé le monument écrasant de la fraternité presque gémellaire, mystérieuse, faite de rivalité mais aussi d’une intimité unique qui sera bientôt perdue à jamais.

Plus personnellement, j’ai retrouvé mes propres ressentis de malade occasionnelle dans la description du monde hospitalier, du médecin drapé dans ses propos sibyllins, pontifiant et condescendant, aux infirmières dévouées mais impatientes, débordées, se blindant contre la douleur du patient, en passant par l’entourage dépassé par la peur dont les visites s’espacent peu à peu…Très juste m’a semblé aussi le glissement assez brutal de la colère à la résignation par le malade, ce détachement du corps sans cesse exposé, examiné, brutalisé, qui finit par ne plus vous appartenir, devenir votre ennemi intime, et dont on vous dépossède au moment où vous auriez le plus besoin de vous réconcilier avec lui. Philippe Besson ne juge pas, constate seulement les parois étanches qui séparent les bien-portants des malades, les savants des ignorants, le miroir qu’ils se tendent tour à tour au fil des moments partagés tandis que le fossé séparant la vie et la mort se creuse de plus en plus.

J’ai cependant une petite réserve à formuler : j’ai trouvé l’évocation d’une histoire ancienne très mystérieuse concernant Thomas, révélée par un vieil homme énigmatique croisé par les deux frères, et dont on apprend le dénouement un peu trop attendu à la fin du roman, un peu superflue. L’intrigue aurait pu se suffire du roman à deux voix fraternelles, dans leur solitude à deux à ce moment crucial de leurs vies respectives. Il n’y a pas de place pour d’autres éléments au tableau, ou alors juste esquissés, comme le fait l’auteur avec le personnage de Lucas dont on ne sait pas grand-chose de la vie et des amours homosexuelles. La maladie tient les deux frères prisonniers dans leur relation moribonde. Finalement, le geste ultime de Thomas libère son frère, en un dernier message d’amour et de fidélité.

Mise à part cette légère réserve, « Son frère » est un livre magnifique, au parfum entêtant. On en sort un peu soulagé d’être soi-même vivant, d’aimer et être aimé. Malgré la tristesse du propos, le souvenir d’un bain d’après-midi d’enfance à la lumière d’un soleil qui réchauffe résonne comme une musique apaisante impérissable. Quelque part, notre enfance nous survit.

Son frère - Philippe Besson

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